dimanche 27 mai 2012

Le déserteur - Boris Vian


Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais déserter

Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins

Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens :
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer


                        Boris Vian



Boris Vian
Boris Vian (1920 – 1959) a écrit une centaine de chansons, mais « Le déserteur » est incontestablement la plus connue de toutes, aussi bien dans les pays francophones qu’ailleurs dans le monde, Vian l’ayant aussi produite dans sa version anglaise.

Il écrit ce texte anti-militariste en février 1954 sous forme de poème, à la fin de la guerre d’Indochine (1946 – 1954), mais juste avant la guerre d’Algérie (1954 -1962). En collaboration avec Harold B.Bercy, il le met en musique, puis il propose la chanson à bon nombre d’artistes, mais tous refusent de l’interpréter. En effet, la version d’origine comporte une fin très différente : au lieu de « si vous me poursuivez prévenez vos gendarmes que je n’aurai pas d’armes et qu’ils pourront tirer », il avait écrit « si vous me poursuivez prévenez vos gendarmes que je possède une arme et que je sais tirer ».

Le chanteur Mouloudji propose alors à Boris Vian d’apporter des modifications visant à rendre le texte politiquement plus correct, tout en restant dans une logique pacifiste. Il transforme donc la fin, mais également quelques phrases centrales, « Monsieur le Président » devient « Monsieur que l’on nomme grand », « Ma décision est prise je m’en vais déserter » devient « Les guerres sont des bêtises, le monde en a assez ». L’enregistrement a lieu en mai 1954, juste après la défaite française de Diên Biên Phu. Mais malgré toutes les édulcorations du texte original, la chanson fait un scandale retentissant dans le contexte historique et politique de l’époque. Elle fut censurée à la radio et le disque interdit de vente jusqu’en 1962. Autant dire que Boris Vian, décédé en 1959, n’aura vécu que les échecs et les remous liés à sa composition…

Pourtant, au cours des années 1970, lors des manifestations pacifistes contre la guerre du Viêt Nam, Joan Baez reprend ce titre et le chante devant les foules rassemblées.
Il en fut de même lors des manifestations contre la guerre du Golfe en 1991.
La chanson s’impose une fois de plus dans l’actualité journalistique le 8 mai 1999. À Montluçon, lors de la cérémonie de commémoration de la capitulation de l’Allemagne nazie (8 mai 1945), la directrice de l’école fait chanter « le déserteur » à deux élèves de 10 ans devant le monument aux morts, en présence d’un parterre d’officiels et d’anciens combattants. Nouveau scandale : on lui reproche vertement de prôner la désertion et la désobéissance, alors que quantité de soldats courageux sont morts pour la patrie. Elle fut suspendue à vie de toute direction d’établissement.

Je ne peux que vous conseiller la lecture des paroles de la chanson de Jean Ferrat « Pauvre Boris », où le chanteur s’adresse à Vian en parlant avec ironie du succès posthume de sa chanson « le déserteur ». Vous la trouverez sur ce site à la rubrique « Poèmes et chansons ».

Cette chanson a été interprétée par Johnny Hallyday, Hugues Aufray, Marc Lavoine et bien d’autres. Vous pouvez l’écouter d’un clic sur votre site musical préféré.






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